INTERVIEW

Guimond. Papineau’s Seigneuralism and Republicanismç

GUEST

Olivier Guimond
HOST:
Gabriel Lee

Olivier Guimond est candidat au doctorat en histoire à l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur l’histoire intellectuelle et culturelle de la question seigneuriale au Québec pendant le XIXe siècle. Sa thèse de maîtrise en histoire portait sur Louis-Joseph Papineau et la dualité de sa situation en tant que républicain et seigneur. Vous pouvez lire son article,“Louis-Joseph Papineau’s Seigneurialism, Republicanism, and Jeffersonian Inclinations” dans JCHA/RSHC 31 no.1.

Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au Québec du XIXe siècle ? 

Je crois m’intéresser à l’histoire depuis mes premiers cours d’histoire au secondaire. Nous avions un professeur passionné par sa matière et qui ne manquait pas de nous faire savoir combien la Conquête en avait coûté aux Canadiens français ! Pour l’histoire du Québec en particulier, au point d’en faire un intérêt de recherche aux cycles supérieurs, cela remonte, je crois, à 2012, c’est-à-dire au contexte de la crise étudiante. C’était un événement qui me semblait significatif sur le plan culturel, sur le plan social. Des débats profonds animaient la société québécoise, et c’est la première fois que, vraiment, je m’y intéressais et y prenais une part active. C’est à ce moment qu’est venu mon envie de mieux comprendre ma société et son histoire. Dix ans plus tard, j’ai bien l’impression que ce sera une quête toujours inachevée…  

Comment en êtes-vous venu à étudier Louis-Joseph Papineau ? 

C’est le professeur Benoît Grenier qui m’a indiqué, d’après une idée que lui avait communiqué Yvan Lamonde,  l’intérêt d’étudier le rapport de Papineau avec le régime seigneurial. J’ai immédiatement été intrigué et en ait fait un sujet de maîtrise. D’abord, Papineau (1786-1871), qui vécut une longue et intéressante vie, me semblait constituer un beau prétexte pour étudier une large période de l’histoire nationale. Par le truchement du régime seigneurial, j’entrevoyais la possibilité de me familiariser encore davantage avec l’histoire de la Nouvelle-France, en plus de celle du Bas-Canada. Enfin, et non le moindre des intérêts, ce sujet me semblait en être un d’histoire intellectuelle. Or, j’ai toujours été intéressé, d’aussi loin que je me souvienne, par les idées. Bien plus que de simples artifices rhétoriques ou que des spéculations métaphysiques, les idées ont toujours eu, aussi, à mon avis, un impact concret sur la société. Une des choses que j’aimais le plus, durant mes études à l’Université de Sherbrooke, étaient les soirées passées avec mes meilleurs amis à discuter et débattre de philosophie, de littérature, d’histoire, de politique, bref, de jouer avec les idées. Pour moi, c’était aussi amusant qu’important de faire cela. Alors, je l’avoue, je voyais dans l’étude de Papineau, en plus de l’occasion d’en tirer une meilleure compréhension de l’histoire, une formidable opportunité de m’aiguiser l’esprit en vue de ces moments que je chérissais! 

Quel a été l’impact des idéaux de Jefferson sur les mouvements républicains au Canada ? 

Je pense que l’impact des idéaux jeffersoniens sur les mouvements républicains au Canada n’ont pas été très grands. Les sources manquent pour attester d’une influence profonde et sans équivoque, à ma connaissance. Bien sûr, la Révolution américaine avait encore une grande résonnance au début du 19e siècle, dans les Canadas. Et les principes établis dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis, dont le premier jet a été rédigé par Thomas Jefferson, étaient bien connus; on s’en réclamait chez les républicains du Haut- et du Bas-Canada, dans les années 1830. Ces idéaux « jeffersoniens » ont été utiles pour aborder, par exemple, les notions de droits et de liberté en vue de critiquer l’ordre établi. Mais réduire les principes jeffersoniens à cette Déclaration, ou même réduire ce document à une œuvre seule de Jefferson serait une erreur, je pense. En fait, le cas de Papineau, bien documenté par la grande quantité d’archives qu’il nous a laissé, est exceptionnel à ce chapitre. Il ne faudrait pas généraliser son cas. Il était ouvertement un fervent admirateur de Jefferson, connaissait bien sa vie et avait abondamment fréquenté ses écrits. Je pense aussi qu’il s’identifiait personnellement, à certains niveaux, à Jefferson. Bref, il y a bien, selon moi, une part jeffersonienne à la pensée politique de Papineau, y compris sur le régime seigneurial. Pour Papineau, inspiré des idées de Jefferson, le régime seigneurial avait toujours sa place à l’ère de la démocratie, car ce régime offrait un moyen facile d’accéder à la propriété. Or, pour lui, le citoyen-propriétaire constituait l’élément de base d’une république démocratique. Dans le cas bien particulier du Bas-Canada, pour Papineau, ce citoyen-propriétaire pouvait très bien être un censitaire! Il suffisait, dans son esprit, de comprendre les vérités de l’histoire des Canadiens de même que les nécessité du présent et de l’avenir pour s’en convaincre. 

Que pouvons-nous apprendre sur la politique au XIXe siècle au Canada en lisant les écrits de Papineau ? 

Fréquenter les écrits de Papineau, c’est fréquenter les grands événements politiques qui ont jalonné six décennies du 19e siècle. Ce sont des sources très riches, alors je m’en tiendrai au républicanisme pour répondre à la question. D’une part, je pense que les écrits de Papineau offrent une fenêtre sur l’intensité et l’organisation du mouvement républicain au Bas-Canada, dans les années 1830, et sur ses origines dans la décennie précédente. C’est déjà beaucoup. Mais, d’autre part, les archives nous montrent que ce mouvement n’était pas monolithique. C’est que Papineau était beaucoup moins doctrinaire, je crois, que d’autres républicains proches de lui. Déjà, Lionel Groulx a tenté de démontrer cela concernant son rapport nuancé avec la religion et avec l’Église catholique. La question seigneuriale permet de le démontrer de manière plus saisissante encore, peut-être. Par exemple, quand des patriotes et, par la suite, des Rouges, ont milité pour l’abolition du régime seigneurial – relique d’une époque barbare dans leur esprit –, au nom du progrès, de la liberté, de tout ce que commande l’époque « moderne », Papineau leur répondait qu’ils étaient trop idéologiques, qu’ils n’avaient pas compris la nature du régime seigneurial canadien qui n’avait rien de la sévérité du féodalisme. En fait, pour Papineau, le républicanisme était un modèle qui pouvait, certes, inspirer le changement, contribuer à rendre plus libre le peuple; mais il n’était pas un système que l’on devait simplement appliquer au Bas-Canada pour régler tous ses problèmes, sans égard à l’histoire, aux traditions, à la réalité particulière de ses habitants. Mais, malgré cela (et pour d’autres motifs), Papineau, d’une incroyable constance intellectuelle, fut considéré, à compter des années 1840, comme trop « radical » : les temps, au Canada, n’étaient plus aux sympathies républicaines ouvertement affichées. Cela, aussi, nous en dit beaucoup sur le climat politique de l’époque. 

Avez-vous lu quelque chose de bon récemment ? 

Je viens tout juste de terminer deux excellents livres: Récit d’une émigration de Fernand Dumont (1997), et Gabrielle Roy, une vie (1996), de François Ricard. Le livre de Dumont, qui constitue en fait ses mémoires, est fascinant, rempli de finesse. On y comprend mieux le déchirement qu’il a ressenti en quittant son modeste milieu d’origine pour intégrer le milieu universitaire. Cette experience traverse l’oeuvre sociologique de Dumont, toute tournée vers l’exploration des rapports entre ce qu’il appelle la culture première et la culture seconde. Dumont a fait le choix intellectuel, épistémologique, de réfléchir à partir de cette tension qui l’habite, et non pas malgré elle, ce que je trouve admirable. Du côté de la biographie que François Ricard a écrite de Gabrielle Roy, j’ai été impressionné par son écriture élégante et par sa maîtrise de l’oeuvre de l’écrivaine. On ressent, certes, tout l’attachement du biographe envers Roy, c’est-à-dire envers la personne qu’il a personnellement connue et l’œuvre qu’il a toujours admirée; mais Ricard a aussi souvent une manière très pénétrante de critiquer et celle-ci, et celle-là. À mon avis, Ricard sert avec cet ouvrage une belle leçon d’écriture biographique.